– Chili –
On entendait d’abord le chariot qui approchait, le tintement de la vaisselle et l’arôme du café. Pantalon noir, chemise blanche, cravate foncée - Peut-être nœud papillon - veste blanche en coton, l’employé des Ferrocarriles del Estado (l’équivalent de la SNCF en France) était impeccable. Maman et papa se tournaient simultanément vers le couloir pour saluer le serveur et le grand jeu se déployait. « Petit-déjeuner complet », commandait mon père en grand seigneur, « deux adultes et deux enfants ». Un plateau était calé entre les deux sièges qui se faisaient face. Une nappe blanche était posée dessus, puis les soucoupes, les tasses, le sucrier, les assiettes, les couverts. C’était une dînette pour de vrai ! Il y avait le beurre, la marmelade, la corbeille à pain, le jus d’orange et le jambon blanc. La vaisselle, la nappe et les serviettes en coton portaient la griffe des Ferrocarriles del Estado. Le thé et le café sentaient bon. Le jambon avait un arôme tout particulier. C’était lors du départ en vacances d’été. J'ai vécu ce moment probablement quatre ou cinq fois, entre 1955 et 1962, lorsque j’avais entre trois et dix ans. Le souvenir le plus fort est celui de voir ma mère, habillée pour le voyage, maquillée, bien coiffée, avec un grand sourire de satisfaction. Elle était femme au foyer, elle s’occupait de tout à la maison. Mais, à cette occasion, ma mère était servie à table, elle rayonnait comme une reine. Deux fois en France j’ai senti le même fumet du jambon. Une fois à Paris, en 1979, rue Bénard, dans le 14ème arrondissement. Je travaillais dans un bureau d’études agencé autour de la cour d’un immeuble. Les fenêtres étaient ouvertes, l’heure du déjeuner approchait, cela devait venir d’un appartement situé au-dessus des bureaux. La seconde fois, ici, à Nantes, en 1989, rue du Calvaire, en traversant la rue Lafayette. Les deux fois, l’espace d’un instant, dans le wagon cahotant des Ferrocarriles del Estado, je revis ma mère rayonnante comme une reine.
